Sumario: | La supplication est un discours risqué. Acte de langage de ±la dernière chance», elle tente d'inverser un rapport de force, ne serait-ce que ponctuellement. On songe aux demandes de grâce, à toutes sortes de placets, aux supplications amoureuses. Et fondamentalement, la supplication dérange, elle a un caractère potentiellement importun et menaçant, puisqu'elle place l'interlocuteur devant la nécessité de répondre. Elle représente souvent une expérience limite pour les interlocuteurs comme pour les spectateurs. Avec le suppliant, entre sur la scène un spectre inquiétant : celui de l'infortune et du malheur, de la souffrance dont nul ne voudrait se tenir responsable - mais aussi la possibilité d'un autre système de valeurs. Elle représente en effet l'appel direct possible à une justice que le suppliant espère envers et contre tout. Son geste même la postule, même s'il ne l'argumente pas explicitement. Cette espérance (qui va du plus concret au plus eschatologique) fait toute la force de la supplication, et pousse celui qui n'a (plus) rien à parler aux puissants. Cette tension vers la justice peut participer à la constitution du présupposé pragmatique, au principe de son ethos : c'est justement l'absolue faiblesse qui autorise le pauvre à parler. Inversement, le supplié étant un puissant, se prête à ce rôle, dans la mesure où il entre dans la scénographie où l'attire le suppliant. Le travail sur le rapport de force suppose donc de subtils réglages en même temps qu'une extraordinaire ouverture à l'inédit du cœur humain. Qu'il soit écouté et exaucé ou non, le discours de la supplication se prête par excellence à une analyse des actes de langage qui puisse mettre en évidence l'articulation entre les mots (acte locutoire), l'acte (illocutoire) et les effets de la parole (perlocutoire). L'échec ou la réussite dépendent autant du cœur du supplié que de la pertinence des mots, de l'adaptation paradoxale aux circonstances sociales, juridiques, politiques, institutionnelles...
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