Sumario: | La publication en 2013 d'une version reconstruite du texte de Kracauer Die totalitäre Propaganda (1937-1938) a renouvelé la perception que l’on pouvait avoir de cette dimension de son œuvre et de son apport à une « théorie critique de la propagande ». La réflexion sur la propagande s’inscrit dans le contexte plus vaste de l’élaboration par les exilés allemands, au tournant des années 1930-1940, d’une grille de lecture du national-socialisme, vu comme une pathologie de la modernité, ainsi que dans celui des grands projets de recherches américains sur la propagande nazie (auxquels Adorno et Kracauer ont été associés). Au sein de la nébuleuse de la « Théorie critique » Kracauer exprime, comme Benjamin, un point de vue à certains égards dissonant. À rebours d’une approche qui insiste surtout sur la continuité entre capitalisme et nazisme, il se montre particulièrement sensible à la séduction esthétique du fascisme, et à sa mise en scène d’une réalité de substitution, qui est selon lui l’expression d’une fuite en avant nihiliste : ses analyses concrètes ne portent pas tant sur les contenus du message que sur le langage même de la propagande, et la vision de la société et de l’histoire qu’elle véhicule, dans sa forme même. Le débat complexe qui se développe à cette époque entre Adorno, Benjamin et Kracauer met notamment en œuvre les catégories de « fétichisme » (Adorno), de « fantasmagorie » et d’« esthétisation du politique » (Benjamin), d’« apparence » et de « pseudo-réalité » (Kracauer). Il présente en premier lieu un intérêt historique, en tant que l’analyse du nazisme constitue pour le projet d’une théorie critique une mise à l’épreuve, qui suscite de vifs débats internes et aboutit chez Adorno et Horkheimer, dans la Dialectique de la raison (1944-1947), à une reformulation de ce projet. Mais dans un contexte aujourd’hui bien différent, les thèmes qui sont débattus entre ces protagonistes, comme celui de la dérive autoritaire du libéralisme, des manipulations de…
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